CHERIF M’BAW
MUSICIEN – INTERPRĖTE – COMPOSITEUR
Photo collection personnelle Chérif M’Baw
Chérif M’Baw est un phénomène. A la fois un chanteur de talent et un guitariste hors pair, Chérif c’est aussi une personnalité au cœur d’or, une personne parmi celles qu’on n’oublie jamais. Peut-être, parce qu’il émane de lui un « je ne sais quoi » de lumineux, comme un rayon de soleil scintillant sur l’océan. Ses yeux noirs au profond regard velouté, son doux sourire, ses mains racées et sa silhouette élégante font partie de ce charme irrésistible.
Si j’ai choisi de brosser le portrait de Chérif M’Baw, c’est qu’il illustre à mon sens, hormis un parcours émouvant, le parcours d’une intégration réussie. Cette intégration loin d’être anodine s’inscrit dans le contexte brûlant d’une actualité toujours plus incisive quand il s’agit du phénomène mondial de l’immigration. Or, grâce à son éclectisme, Chérif a su tirer parti de l’universalisme de la musique en intégrant sa culture africaine à celle du pays où il a choisi de vivre. Il est l’illustration vivante de l’interaction entre être humains de tous horizons ce qui lui a permis de « fertiliser » les esprits les plus bornés, de s’introduire dans les milieux les plus fermés et de devenir, lui, « le galopin des rues de Dakar », un vrai titi Parisien !
Les racines de Chérif M’Baw
Il est né à Ziguinchor au Sénégal. Il ne sait plus exactement quelle année, mais cela a t-il vraiment de l’importance ? à peine si les années l’effleurent : Chérif restera toujours jeune. C’est sur les plages de Dakar qu’il travaille éperdument sa voix. Il s’évade aussitôt qu’il le peut de la maison familiale pour chanter au gré de sa fantaisie entre ciel et mer, façonnant ainsi le timbre de sa voix. Dès sa plus tendre enfance la musique envahit son être, l’obsède. Il ne vit pas comme les jeunes de son âge qui passent leur temps à se divertir ; chaque moment de libre, il le passe à jouer inlassablement sur son ukulélé. Là-bas sur les rochers au bord de la plage, il est hors du temps, à tel point qu’il en oublie de rentrer pour manger, et bien souvent c’est le ventre vide qu’il va se coucher. Il se revoit, lui le petit « galopin » dévalant hors d’haleine les rues de Dakar, sortant de sa maison en catimini à la nuit tombée, escaladant le mur de briques qui le séparait de la scène où Youssou N’Dour se produisait… Youssou N’Dour, le Roi du mbalax – SON IDOLE ! Et là, juste derrière la salle de concert, à l’abri des regards, c’est là que blotti tant bien que mal, il plaquait son oreille sur une petite fissure et qu’il buvait, le cœur battant, chaque note de musique qui en sortait…
Le conservatoire de Dakar
Jeune adolescent, il quitte l’école pour entrer dans un atelier de menuiserie et chante tout en travaillant. C’est là qu’il rencontre Baaba Maal, une célébrité mondiale de la chanson sénégalaise. Cette rencontre va être décisive pour Chérif. C’est à lui qu’il demandera de l’aide lorsque, sur les conseils d’un ami, il prendra la décision de suivre les cours du conservatoire de Dakar. Il sait que son avenir est là. Il meurt d’envie de jouer plusieurs instruments, d’apprendre la guitare classique, le solfège. C’est Baab Maal devenu son frère spirituel qui lui paiera ses premières fournitures et son premier mois de cours…. La vie de Chérif va basculer à ce moment-là ; il sait qu’il va tout faire pour apprendre à écrire la musique et progresser. Une vie partagée entre le travail à la menuiserie et le Conservatoire va commencer pour lui. Un sacrifice perpétuel car aussitôt achevée la longue journée de travail à la menuiserie, il devra emprunter la longue route qui le mène au conservatoire, quatre heures de marche en tout… Le rythme va s’intensifier rapidement, de un cours par semaine, il va passer à deux, puis à trois, puis à quatre… pour finir par avoir cours presque tous les jours et cela sera d’autant plus difficile que les trajets sont pénibles. Un rythme infernal commence alors entre sa vie professionnelle et sa vie de musicien. A l’évidence, Chérif va devoir faire un choix, et ce choix, il n’aura même pas à le faire, car son employeur, lassé de ses absences et de son état de fatigue qu’il ne parvient plus à cacher, le licencie ! Chassé de chez lui, aussi, car sa famille ne tolère plus sa vie décalée, ses horaires décousus, ses apparitions fugitives. Il lui faudra donc se battre seul ! son courage et son obstination lui vaudront de gravir un à un les échelons du Conservatoire malgré une vie de privations entièrement dédiée à la musique. Il parvient à être classé parmi les meilleurs élèves ! ce succès lui vaut l’obtention d’une bourse et le passage en deuxième année…
Le « Number One » à Dakar
Mais il lui faut aussi gagner sa vie, se débrouiller. La nuit, il fréquente les clubs, les salles de concert et assiste souvent aux préparatifs des musiciens glanant de ci de là un petit job. Un jour, on lui demande de tester le micro, et c’est un déclic dans la salle. Sa voix ne laisse pas les musiciens indifférents. Chérif saisissant sa chance au vol interprète les chants traditionnels sénégalais… les musiciens sont emballés et sur le champ lui proposent de rejoindre leur formation. Ainsi va commencer pour Chérif, la fabuleuse expérience de la scène, la vie de groupe et la vie nocturne avec le célèbre orchestre de Dakar, le « Number One ». C’est dans cet orchestre que Chérif va forger ses premières armes ; la dure école de la scène, des heures de répétitions, des entières passées à chanter et à jouer en dépit de la fatigue, c’est ce qui va bâtir le musicien d’aujourd’hui ; un courage, une énergie et un dynamisme à toute épreuve… ce sera une période exténuante où les nuits blanches succèderont aux longues journées passées au Conservatoire.
Lauréat du Concours Unesco
Sa force de travail, sa capacité à se concentrer, sa maîtrise de soi et surtout, son merveilleux talent vont le hisser au rang des meilleurs élèves en guitare classique. Et c’est au terme de cinq années assidues que Chérif verra son opiniâtreté récompensée : il sera lauréat du Grand Concours organisé par l’Unesco à Dakar en 1994. Pour la première fois de sa vie, il reçoit la reconnaissance suprême de son talent. Cette récompense va lui ouvrir les portes du succès, en tant que Premier Prix, une bourse lui sera octroyée pour pouvoir poursuivre ses études musicales à Paris ! Un nouveau pan de vie commence alors pour le « petit galopin en fugue », le chanteur solitaire des vastes plages de Dakar….
Aujourd’hui, qu’est devenu Chérif ?
Face à moi, attablé à La Bellevilloise, la célèbre salle parisienne connue pour ses oliviers jouxtant les tables, salle de concert où il joue régulièrement, Chérif vient d’achever le récit de ses débuts. C’est dans cette salle que ses amis ont l’habitude de le retrouver.
Aujourd’hui,
Chérif M’Baw Collection personnelle
Chérif vit à Paris, une ville où il se sent bien, où il a fondé une famille, où il a créé un immense cercle d’amis de tous horizons ; pas un bar qui ne connaisse Chérif, pas une rue qu’il n’ait arpentée… un véritable titi parisien ! mais il lui en aura fallu du temps pour conquérir cette ville, pour la dompter, l’amadouer, la combattre aussi…Il se souvient des petits boulots, la manche dans le métro, les portes claquées, les tentatives échouées, les promesses non tenues, les faux espoirs, la lente conquête des cafés concerts parisiens, les cours de guitare classique pour survivre, jusqu’à une arrestation pour ne pas avoir ses papiers sur lui… ce qui lui a valu de devoir chanter et jouer dans un commissariat… un long combat dont il est sorti vainqueur en obtenant après trois années passées au Conservatoire de Paris, le premier prix en guitare classique et l’ultime récompense, celle qui va le propulser sur la scène, la rencontre avec un producteur au métro St Paul.
La conquête de Paris
C’est à Paris qu’il signe ses premiers contrats pour la sortie de ses trois albums : Kham Kham (Label Warner 2000) – Demain (Label All other Music – 2005) Sing for me ( World Village / Harmonia Mundi – 2011). Il se définit comme un chanteur marginal, style Pop-Rock Afro-cubain, Jazz, Soul -, un mix de culture européenne et africaine… Les tournées se succèdent : Suède, Danemark, Suisse, Allemagne, Angleterre, Ukraine, Afrique….et bien sûr la France ! A Paris, Chérif se produit toute l’année dans ses salles fétiche comme le New-Morning, la Cigale, le Duc des Lombards, la Bellevilloise, la péniche de la Dame de Canton, la Cité de la Musique, le Zénith où il est passé en première partie de Tracy Chapman en 2006. C’est avec Tracy Chapman qu’il connaîtra sa plus vive émotion… c’était au Hall Stadium de Zürich, seul sur scène, devant 12 000 spectateurs !
-un souvenir inoubliable d’une extrême intensité… une émotion indescriptible à décrire ! depuis je n’ai jamais eu le trac. Avant de rentrer en scène, je cherche avant tout à mettre en confiance mes musiciens. J’essaie de décontracter l’atmosphère, je plaisante avec eux et je sais que c’est là le secret, ce fluide qui va passer entre eux et moi et qui va les mettre à l’aise pour jouer avec toute leur sensibilité….
Chérif M’Baw sur scène
Outre sa voix qui joue avec des tonalités aigües qui font frissonner son public, Chérif est un enchantement sur scène. Il vit avec son public, le prend à parti, le « drive », le chauffe à blanc. Irrésistiblement, même le public le plus difficile (le public parisien !) se laisse emporter par cet élan quasi-mystique, cette volupté que forment une voix et des instruments parfaitement à l’unisson ! Et comme par enchantement, les spectateurs blasés du début se transforment en être vivants, abandonnent leurs tables et s’élancent sur le devant de la scène pour se mouvoir au rythme de la musique… Une invitation à la joie, une irrépressible envie de danser, une explosion de vie, une déferlante de bonheur, c’est ça Chérif M’Baw !
Le charisme de Chérif
Ce qui fait la puissance de Chérif, c’est une force au plus profond de son être, une spiritualité rayonnante qui lui vaut des amis partout où il va. Dès qu’il le peut après ses concerts, il fait le tour de la salle et échange quelques mots chaleureux, remerciant de ci, de là, tissant des liens avec son public. Il est doté de cette faculté de s’adapter à tous les publics, à l’aise dans toutes les situations… Il se souvient d’un concert sur une péniche à Nogent-sur-Marne :
– un jour, je donnais un concert sur une péniche lorsque tout à coup, panne de courant !… alors je me suis mis à chanter sans micro…
Sans se départir de son calme, il s’est mis à chanter à « Capella » au grand dam de son public, ému par la pureté cristalline de cette voix qui s’élevait, sans artifice, tellement plus belle !
Un esprit « humaniste » source d’inspiration
Son inspiration musicale est fortement liée à son envie de mêler les cultures, de les imbriquer l’une dans l’autre. Son ingéniosité vient de son talent à harmoniser des instruments comme la guitare classique, le N’gony, le xalam, le saxophone, les percussions, la « pedal steel guitar », le banjo comme s’il voulait réconcilier leurs différences en mettant en valeur la beauté de leur union. On reconnaît là, la démarche personnelle « humaniste » de Chérif : une irrépressible envie d’unir les hommes quelles que soient leurs origines, leurs appartenances, leurs cultures…
Et demain Chérif ?
– un quatrième album… et peut-être….réaliser un rêve, une péniche sur laquelle je pourrais naviguer tout en jouant au fil de l’eau….
Un rêve qu’il réalisera sans doute.
Chérif en concert le 26 avril à Issy les Moulineaux à 20h30 47, rue Henri Tariel – Entrée 5 euros
Photo collection personnelle Chérif M’Baw
Suggestion de publication : Mondomix – le magazine des musiques et cultures dans le monde
Anne LABATUT